
Il suffit de tendre l’oreille dans un supermarché en Périgord pour prendre le pouls du » Dordogneshire « … Que ce soit quelque conversation glanée ici ça et là, les plaques d’immatriculation de couleur jaune siglées UK, les conduites à droite des voitures sur le parking d’un magasin ou les rayons entièrement dévolus à la pate à tartiner Marmite, aux thés Typhoo ou PG tips à l’intérieur de chaque grande surface, c’est une évidence : la Grande Bretagne semble avoir pris ses quartiers d’été ici !

Il faut dire que depuis bien longtemps… vers les années 60, la Dordogne a été terre d’accueil d’une importante communauté britannique au point que certains la surnomment avec humour » Dordogneshire » comme une province anglaise supplémentaire… Notre département compte près de 10 000 ressortissants britanniques résidents officiellement et on estime que 100 000 citoyens de sa Gracieuse Majesté visitent chaque année le Périgord, tant vanté par les médias de Grande Bretagne. C’est, hors Ile De France, le département qui compte le plus de ressortissants britanniques. Dans la réalité, certains estiment qu’il y aurait au moins 2 à 3 fois plus de Britanniques résidents, approximativement entre 5 à 10 % de la population du Périgord : nombre de citoyens d’outre-manche ne souhaitant pas être enregistrés localement pour des raisons fiscales… Et dans ce comté so british, la petite ville d’Eymet au sud de Bergerac fait figure de chef lieu : on y dénombre 200 familles d’outre manche, soit 10 à 15 % des habitants selon les statistiques et une équipe de cricket a même vu le jour.

Pour mieux expliquer le phénomène, il y a certainement l’effet » Ryanair » ( le trafic low-cost fait un appel d’air ) et plus de 300 000 voyageurs passent chaque année par l’aéroport de Bergerac qui relie la région aux plus grandes villes anglaises. Vous y croiserez peut-être un jour l’écrivain William Boyd qui partage sa vie entre Londres et Sadillac où il habite une propriété viticole qui donne un Bergerac réputé : le Château Pécachart. Dans la même veine, citons la famille Ryman ( Château La Jaubertie ) ou Patricia Atkinson ( Clos d’Yvigne ) qui en a fait un livre ( » Les raisins du bonheur : une Anglaise dans les vignes » aux Editions du Rocher ).

Cette présence dans nos terres est historique : rappelons le Moyen âge et la duchesse Aliénor d’Aquitaine qui avait divorcé du roi de France pour se marier avec Henri II d’Angleterre. Dans la corbeille de la mariée, future mère du mythique Richard Coeur de Lion, l’Aquitaine et plus encore, le grand sud-ouest ou l’équivalent de 19 départements. Ce n’est qu’en 1453 à la fin de la Guerre de Cent ans, lors de la bataille de Castillon que l’Aquitaine retrouvera la couronne française. Plus récemment, au 19e siècle, l’Hexagone fut privilégié pour être le lieu de résidence de la bonne bourgeoisie et de l’aristocratie britannique avant que les années 90, sommet des prix de l’immobilier outre manche, ne sonnent l’appel du large pour nombre de sujets de sa Majesté.

Mais ici, la région aura toujours des airs de Dordogneshire : le village d’Abjat sur Bandiat en Périgord vert compte près de 20 % de résidents britanniques dont l’auteur de romans policiers Fiona Barton, partie depuis. Le café local s’appelle d’ailleurs avec beaucoup d’à propos » L’entente cordiale » et pendant la crise du coronavirus, une équipe de volontaires moitié britannique, moitié française a confectionné 800 masques pour toute la commune. Well done ! Très pittoresque et so british… est la tenue chaque année dans ce petit village du championnat de France de conkers, un jeu britannique qui se pratique à deux avec des marrons !

A travers différents témoignages, les raisons qui poussent autant de citoyens britanniques à aller voir si l’herbe est plus verte en Périgord sont souvent liées à la qualité de vie à la française ( patrimoine restauré, vie à la campagne, nourriture, vin, climat, système de santé ), au coût de l’immobilier, à la proximité de la Grande Bretagne et la présence importante de compatriotes.
Si les niveaux de vie sont peu ou prou équivalents, l’engouement des sujets de sa Gracieuse Majesté pour les vieilles pierres locales ont fait flamber les prix ces dernières années avec un pic en 2008. Malgré le brexit, l’acquisition d’un bien immobilier restait encore abordable localement en 2020 surtout pour les maisons de caractère à rénover car au Royaume Uni, pour un logement moyen équivalent en France, le coût était supérieur à 15 %, uniquement sur le bati.
Reste que l’un des problèmes majeurs est le manque de place là-bas dans la mesure où pour une population très légèrement inférieure, le nombre d’habitants du Royaume Uni au km2 est presque 3 fois supérieur là-bas comparé à la superficie ( 267 habitants / km2 ) par rapport à la France ( 100 habitants / km2 ). En Périgord, la densité humaine est encore bien moindre ( 50 habitants / km2 et 30 habitants… en Périgord vert ), d’où le prix excessivement élevé du foncier outre manche qui encourage cet engouement à s’installer ici pour profiter de grands terrains sans limites à un prix sans équivalent.

Enfin, le cours de la livre sterling a longtemps été favorable par rapport au franc puis à l’euro pour l’achat d’un bien immobilier. Mais depuis la crise du Brexit, la dévaluation de la monnaie face aux incertitudes a fait plonger la livre jusqu’à – 20 % dans les plus bas : pour une grande partie de la population du Dordogneshire qui est retraitée et dont les pensions sont versées en livres… cette perte est très importante, au point d’inciter certains à rentrer. Un exode tout relatif, compensé immédiatement par l’arrivée de nouveaux venus attirés par le Périgord, le terroir du Dordogneshire…
P.S : fin 2021, la Dordogne aura délivré plus de 9 000 cartes de séjour » Brexit « …